Aujourd’hui, j’ai réussi passer ma journée (pas très légalement) avec des Rohingya, à la rencontre de cette « minorité la plus persécutée au monde » d’après l’ONU.
Au réveil ce matin, j’ai la surprise en ouvrant mes rideaux de découvrir en face de ma fenêtre une mosquée totalement abandonnée, en plein centre de la ville. Il s’agit de la mosquée de Sittwe, qui a été abandonnée il y a quelques années depuis le début des violences anti-musulmanes ici. La nature reprend ses droits sur cette mosquée, on dirait qu’elle se trouve en pleine jungle. Je décide d’aller au marché central, très animé, je vais sur la jetée et je découvre un monde que je n’avais jamais vu en Birmanie, plein de pêcheurs, et une vue splendide sur le golfe du Bengale. Une eau claire par endroits, des îles, du relief, c’est magnifique. Mais pourtant je ne me sent pas bien ici, je ne connais pas encore bien cette ville et j’en ai que de mauvais aprioris… Même si je sais bien que les habitants de Sittwe ne sont pas forcément haineux envers les musulmans, mais qu’il s’agit bien d’une « communauté » de xénophobes et d’islamophobe.
Je décide donc de juste faire un tour rapide du centre ville, je fais le tour de cette mosquée abandonnée pour trouver le meilleur angle. Impossible pour moi d’y accéder, l’entrée est gardée par des policiers. Des hommes dans la rue me disent de ne pas prendre de photo, mais je ne vois pas pourquoi, alors je prend ma photo. Puis je bouge direction la plage. J’avais lu un article d’un reporter de « Vice » qui l’année dernière avait enquêté ici même sur les Rohingyas, il n’avait pas pu accéder aux camps mais avait indiqué que beaucoup de camps étaient situés le long de la plage à l’ouest de la ville.



Ah oui, petit résumé à propos des Rohingyas. C’est assez dur de résumer ça en quelques lignes, surtout que je ne suis pas un spécialiste, loin de là, j’ai juste lu des articles et j’essaie d’en apprendre plus ici même. Et surtout que je ne suis pas du tout journaliste, c’est un métier! Les Rohingyas sont une minorité musulmane qui vit ici dans l’état de Rakhine au nord-ouest du pays (plus de 800 000), et dans toute la région du Bengale, et ceux depuis des centaines d’années. Une grande partie des Rohingyas sont arrivés en Birmanie à la fin du 19eme siècle sous le Raj Britannique pour servir de main d’oeuvre. Depuis l’indépendance de la Birmanie en 1948 les Rohingyas sont rejetés et persécutés par les birmans, mais étaient reconnus comme une minorité birmane. Mais leur situation a changée avec l’arrivée de la junte militaire. En 1982 les Rohingyas ont perdus leur nationalité birmane, et ne font plus parti des 135 ethnies birmanes. (Car prétendus peuple importé par les britanniques) Les Rohingyas sont donc dépourvus de toute droits politiques, économiques ou sociaux. Les dernières lois les concernants sont celles de 2012 qui interdisent le mariage entre Musulmans Rohingyas et Bouddhistes Birmans… Depuis 2010 des dizaines milliers de Rohingyas s’enfuient vers le Bengladesh. En 2012 des affrontements ont éclatés ici même entre les Rohingyas et la majorité bouddhiste, suscitant des actes de racisme islamophobe… Des moines et autres islamophobe se sont attaqués au Rohingyas, massacrants près de 200 personnes, brûlant les mosquées, les maisons… De plus ils sont considérés pour beaucoup de monde ici comme des migrants illégaux, en plus d’être musulmans. Depuis ces affrontements, les Rohingyas vivent enfermés dans des villages, des camps, ou dans le quartier musulman de Sittwe. Ils n’ont pas le droit d’y sortir, sauf cas exceptionnel. Cette situation fait donc beaucoup parler les organisations internationales depuis quelques années… Et c’est un problème primordial pour le nouveau gouvernent « démocratique » d’Aung San Suu Kyi. Il y a 14 camps de réfugiés Rohingyas dans la région, où ils vivent dans des conditions précaires, assistés par l’aide internationale. L’année dernière il y a eue une énorme crise En venant ici à Sittwe, je voulais donc aborder ce problème…








J’ai donc marché direction le « view point » à 2km de la ville (un truc touristique, même que tu le retrouves dans le Lonely Planet), c’est la pointe de la « presqu’ile de Sittwe. J’ai vu qu’un 4×4 de la police circulait sur cette route, et me croisait plusieurs fois, merde. Arrivé au viewpoint, les choses sérieuses ont commencées, j’entrais sur l’autre côté de la pointe, une immense plage, déserte. Je décide de faire mon bon touriste et de me balader les pieds dans l’eau à prendre des photos des vagues, la voiture de Police m’a suivi pendant toute ma marche, faisait des aller-retour en permanence. Je savais que des camps se trouvaient sur cette côte, p-e aurais-je la chance d’en apercevoir un de loin. Au milieu de la plage, plein de table et de parasols, c’est ici que viennent se poser les birmans sur la plage, et que la voiture de police fait aussi ses demi-tours. D’après l’article de Vice, je savais que j’entrais dans la zone Rohingya lorsque la route devenait abandonnée. Et j’étais justement à cette frontière, un petit pont, qui sépare les Rohingya du reste du monde. La voiture de police attends, je décide d’aller droit dessus, tout en faisant mon bon touriste, en marchant au bord de l’eau. Les policiers ne me disent rien, alors tant mieux, je passe de l’autre côté du pont. Aucun poste de police sur la plage. Et au bout de 30 mètres je croise les premiers Rohingya, un homme et sa fille avec un sac de riz vide « United nations refugee agency » en train de ramasser des déchets sur la plage… Je leur souris, ça y est, j’ai rencontré des Rohingya. Mais je ne m’attends pas à passer une telle journée. Je remonte la plage pour aller sur cette fameuse « route » abandonnée, ça y est j’y suis. J’aperçois au loin des toits de taule bleus, il s’agit d’un village Rohingya. Je continue ma marche, je crois d’autres Rohingya, des paysans. Et puis de plus en plus, j’arrive à la route qui mène à leur village. Je ne me risque pas à aller au village, j’imagine qu’il y a des checkpoints de police, et je ne voudrais pas me faire virer de la zone avant d’avoir rencontré du monde. Alors je rencontre deux enfants formidables, souriants, avec qui je rejoins leur mères. Ces femmes ont elles aussi ces fameux sacs de provisions fournis par les ONG, et ramassent des petits bouts de bois sur la plage pour faire du feu et pouvoir cuisiner. Je leur offre de l’eau, c’est tout ce que j’ai, j’avais fait le plein d’eau dans mon sac.










Puis je continue ma marche avec eux, rigolants avec les enfants, croisants d’autre Rohingya qui rentrent au village le sac plein. La plage semble interminable, je décide de retourner au bord de l’eau, pour rencontrer des Rohinyia pêcheurs, les enfants me suivent. Ces hommes pêches dans les vagues au bord de l’eau, leurs pêches ne sont pas très bonnes et les poissons sont petits. Je leur offre aussi de l’eau. (Bon du coup j’en ai plus tant pis). J’ai l’impression d’être dans un autre monde, une prison à ciel ouvert. La communication avec les Rohingya n’est pas facile, quelques mots d’anglais et beaucoup de gestes. Les Rohingya parlent rohingya. Le petit garçon me fait comprendre que son père a réussi à fuir en bateau pour aller en Malaysie. Ce pêcheur m’explique qu’ils sont « no happy » ici, tu m’étonnes.











Puis soudain arrive toute une famille de Rohingya, qui ont l’air beaucoup plus aisés, ils sont bien habillés, ont des montres, des bijoux etc. Les filles sont toutes habillées en rouge, et se prennent en photo avec leurs portables. Ils s’amusent à courir sur la plage, à aller dans l’eau. Contrastes total avec les Rohingya très très pauvres que j’ai croisé pour le moment. Je décidé d’aller les voir, un jeune homme parle anglais, il veut que je fasse des photos de lui et ses frères. Je parle avec eux, prend des numéros de téléphone. Puis je me dirige vers un petit abris sur la plage, une toile « United nations refugee agency » qui fait office de tente, je voulais juste prendre une photo. Les hommes m’invitent à manger et à boire avec eux. Un des hommes me fait comprendre par des gestes qu’ils ont été expulsés par les bouddhistes, qu’ils n’ont rien ici, pas d’argent, pas de nourriture, pas d’accès à l’éducation, et qu’ils ne peuvent aller nul part.










Je repasse une deuxième fois sur cette route, avec le village au fond, tellement dommage que je ne puisse pas y accéder, je sais qu’il y a forcement des policiers qui surveillent. Mais finalement je me décide à travers les champs par un petit chemin, on verra bien si on me dit quelque chose. Par précautions j’enlève ma carte mémoire de mon appareil, pas envie de perdre les photos que j’ai déjà fait. Je m’approche doucement d’un abris où il semble y avoir pas mal de monde, en croisant les doigts pour qu’il n’y ait pas de policier. Finalement un homme s’approche de moi, il parle anglais, et m’invite à venir avec eux. Plus de 30 homme Rohingyas sont là posés à cuisiner, boire et jouer au carte. Ils m’invitent à aller avec eux, mais me demande juste de ne pas prendre de photos car ils fument ici! (Sûrement qu’ils n’ont pas le droit normalement). Les hommes jouent aux cartes en misant de l’argent, ils parlent anglais et m’expliquent un peu plus la vie dans les camps. Je suis tellement heureux de pouvoir échanger comme ça avec ces hommes, je ne pensais pas pouvoir rencontrer des Rohingyas comme ça…
Puis je demande si je peux aller faire un tour au village, l’homme me dit que bien évidemment. Alors c’est parti, direction le village, tant pis si je croise des policiers ou des ONG je rebrousserais chemin, la carte mémoire dans mon caleçon! Puis en arrivant au village, des dizaines d’enfants surexcités arrivent autour de moi, me tirent le bras, veulent des photos, ils sont complètements dingues! Alors les adultes se marrent en me voyant dans ce bordel. Trop dur pour moi d’avancer dans le village avec toute cette cohue, et impossible d’être discret. Alors j’aperçois une sorte d’école tenue par l’ONG « Save the Children », je fonce dedans. Il s’agit d’un centre de « développement » pour les enfants Rohingyas. Ils sont 372 ici entre 0 et 18ans. La professeure m’explique qu’elle n’est pas heureuse, qu’elle ne vit pas au village, mais dans un camp, et que les conditions sont encore plus précaires. Il fait très chaud, impossible pour elle de dormir. Les enfants apprennent le birman, dans l’état rakhine où l’on parle rakhine, dans un village Rohingya où l’on parle Rohingya, alors la professeure se marre en m’expliquant le truc. Petite séance photo avec les enfants puis je quitte le village, je ne peux vraiment pas avancer avec les enfants! Haha















Sur le chemin du retour, juste avant de prendre la direction de la zone « birmane », un homme me propose d’aller boire un dernier thé au village, je monte donc sur sa moto, c’est l’occasion pour moi de voir le village et d’éviter l’attroupement d’enfants. On se pose en plein centre du village, des petites échoppes, un « restaurant ». Ils m’offrent de la nourriture, du thé Rohingya (façon Bangladesh), du café… Les hommes portent la barbe, certains enfants ont l’air très pauvres. J’aperçois des gens passer avec des chariots plein de sac de provisions d’aides internationales. Je me rend compte que le village est situé à 50 mètres de la piste de l’aéroport… Il est donc coincé entre l’aéroport au la mer, pratique pour la police. Des jeunes jouent au golf/cricket au bord de la piste d’atterrissage, je fais quelques photos et j’aperçois à 200m l’entrée « officielle » du village, avec un poste de police. Donc je ne traine pas et décide d’y aller. L’homme m’emmène le plus loin où il peut aller avec sa moto, c’est à dire a 500 mètres de là, avant ce fameux petit pont. Sensation étrange de se dire que cet homme ne peux pas venir avec moi de l’autre côté, qu’il est enfermé ici.
Et là, un officier de police nous aperçois et s’approche, me demandant de ne pas bouger. Il me demande si j’ai pris des photos, et je décide de faire mon bon gros touriste, en lui demandant quel est le problème (alors que je sais très bien). Il me demande de quelle « team » je suis, je lui explique que je ne travaille pas pour une ONG. Il me dit que je n’ai pas le droit d’être ici, car c’est trop « dangereux » de s’approcher de ces musulmans. Je fais le niais surpris, lui expliquant que je me baladais juste sur la plage, qu’il y avait même une voiture de police et que j’ai simplement croisé un homme m’invitant à boire un thé, alors je l’ai suivi. Mais je n’a pas pris de photos, ma carte mémoire toujours cachée dans mon caleçon! Avec mes excuses et mes questions stupides sur les « rohinquoi? » j’ai réussi à berner ce stupide policier, qui a pris mes coordonnées, hôtel, et m’a laissé partir. Pas de raisons d’être réglo avec des types qui traitent des humains de la sorte.
J’ai espéré pendant tout le chemin retour de ne pas avoir la police à mon arrivée à l’hôtel et d’avoir le temps de copier sur plusieurs supports mes photos. Etrange sensation que de trier ces photos dans ma chambre d’hôtel en regardant le coucher de soleil sur cette mosquée abandonnée à ma fenêtre… J’avais dis aux gens que je reviendrais les prochains jours mais ça s’annonce compliqué pour moi de repasser les contrôles, du moins pour ce village.
Une première journée de dingue donc ici à Sittwe, je ne pensais pas vivre ça et ce fût l’une des plus belles expérience de mon voyage, c’est clair…
Demain je vous parle des dons, de là où va aller votre argent. Car au fut et à mesure du voyage j’ai pu voir concrètement le travail des ONG, et elles font vraiment un travail énorme, elles ont besoin de soutien.